6 septembre 2021

« La transition écologique offre une opportunité de réindustrialiser notre pays »

Du redémarrage de l’économie, à la transition écologique en passant par la question des compétences. À l’occasion du salon Global Industrie, Alexandre Saubot, Président de France Industrie, et Henri Morel, Président de la FIM tracent le portrait d’une industrie française conquérante.

MécaSphère :  Dans quelle situation se trouve l’industrie française après un an et demi de crise sanitaire ?

Alexandre Saubot : Depuis la fin de l’année dernière, nous avons retrouvé une bonne orientation générale. Les carnets de commande se remplissent et le moral des industriels est globalement bon. Certes, il existe encore des points noirs : la pénurie et l’augmentation du prix des matières premières et des composants, le trou d’air de l’aéronautique ou les incertitudes autour de la filière automobile avec le green deal. Mais nous assistons bien à un fort rebond de la demande et de l’investissement. Rien à voir avec la crise de 2009 qui était une crise de la demande.

En revanche, force est de constater que l’Europe a redémarré plus tard que la Chine et les États-Unis. Lorsque vous êtes les derniers à passer commande de matières premières, vous êtes forcément moins bien servis. L’industrie européenne me paraît donc un peu fragilisée, par rapport à ses concurrentes asiatiques et américaines.

« Il faut poursuivre le travail engagé pour améliorer la compétitivité globale »

M : Quelles sont les mesures nécessaires pour retrouver notre souveraineté industrielle ?

AS : La souveraineté ce n’est pas l’autarcie. Nous devons nous concentrer sur quelques domaines d’activité et nous donner les moyens de réussir. Le PIA (Plan d’Investissement d’Avenir) et le Plan de relance tracent les contours de cette souveraineté retrouvée : les bio-productions de santé, le quantique, le spatial, la transition énergétique, les technologies de décarbonation, etc.  Avec les industriels, France Industrie a travaillé à définir ces priorités. Il faut ensuite mettre tout le monde en mouvement, le secteur privé comme le secteur public, dégager les moyens financiers pour les projets où nous pouvons avoir des longueurs d’avance.

M : Quels sont les leviers de croissance pour l’industrie ?

AS : Outre les secteurs porteurs déjà évoqués, il faut poursuivre le travail engagé pour améliorer la compétitivité globale de l’industrie française. Nous avons besoin d’une compétitivité structurelle pour que nos positions soient durables. Il faut donc retravailler sur des sujets comme le coût du travail et surtout la baisse des impôts de production.

« L’industrie est la solution »

M : Comment l’industrie peut-elle contribuer à la transition énergétique, a-t-elle des atouts pour parvenir aux objectifs de décarbonation ?

AS : Tout l’enjeu, c’est de concilier croissance économique et écologie. On peut être très efficace dans la décarbonation, mais si c’est pour arriver à un chômage de masse et une explosion sociale, cela n’a pas de sens. Les solutions techniques existent, mais elles sont encore beaucoup trop chères. Il faut donc les accompagner par des soutiens financiers, le temps qu’elles deviennent compétitives.

Henri Morel : Trop souvent, l’industrie est considérée comme un problème, alors qu’elle offre de multiples solutions, notamment la digitalisation qui joue un rôle essentiel dans la décarbonation. Au cours de ces trente dernières années, c’est l’un des secteurs économiques qui a fait le plus d’efforts, tout en étant toujours montré du doigt comme n’en faisant pas assez. Pour nous contraindre à en faire plus, il ne faudrait pas taxer ou réglementer encore plus l’industrie. Mieux vaudrait des dispositifs qui nous soutiennent.

M : Comment les mécaniciens français contribuent-ils à la transition écologique ?

HM : La mécanique est une industrie de proximité, implantée dans les territoires qui agit au quotidien pour respecter l’environnement et aider nos clients à le respecter. C’est ce que démontrent les témoignages de salariés de nos entreprises que la FIM a sollicités pour montrer toutes les actions en matière d’éco-conception, de responsabilité sociétale, de recyclabilité, etc. Ces témoignages vidéo sont accessibles sur notre site internet (www.fim.net). Transformer une économie linéaire (produire, consommer, jeter) en économie circulaire est une course de longue haleine. Ce sont ces milliers de petites initiatives quotidiennes qui nous permettront de gagner ce marathon.

« Une politique d’achats qui intègre ces « externalités négatives » contribue à protéger l’environnement »

M : Quels sont les atouts de l’industrie mécanique pour mener la transition énergétique ?

HM : D’abord, l’envie. Une étude récente de l’Institut de l’économie circulaire montre que 85 % des industriels considèrent l’économie circulaire comme une opportunité.

Ensuite, le Plan de relance, qui place la digitalisation et la décarbonation au rang des priorités. L’État dégage des ressources financières qui vont nous permettre d’améliorer nos processus industriels.

Enfin, la transformation vers l’Industrie du Futur. Nombre de ses briques technologiques apportent des solutions pour la sobriété énergétique, l’utilisation de nouveaux matériaux ou l’allongement de la durée de vie des produits et leur recyclabilité. Le Cetim y joue un rôle majeur. D’ailleurs, les deux principaux axes de son contrat d’objectifs et de performance signé avec l’État portent sur la digitalisation et la conception de process favorisant la décarbonation de l’industrie.

M : Comment une politique d’achats responsable peut-elle favoriser la transition écologique ?

HM : Trop d’acheteurs raisonnent suivant le triptyque coût-délai-qualité. Cela les conduit à délocaliser la fabrication de pièces pour gagner quelques dizaines d’euros. Mais, ils oublient tous les coûts cachés, les « externalités négatives » (transport, impact sur l’environnement, etc.) qui sont prises en charge par la société. Une politique d’achats qui intègre ces « externalités négatives » contribue à protéger l’environnement.

« Il faut donner à voir l’industrie d’aujourd’hui et de demain »

M : La transition écologique peut-elle contribuer à relocaliser l’industrie ?

HM : Vouloir rapatrier des produits déjà délocalisés me paraît utopique. En revanche, la transition écologique offre une opportunité de réindustrialiser notre pays. Les innovations et les produits qui vont permettre cette transition peuvent être mis en œuvre en France, par exemple, les solutions en matière d’énergie nouvelle, comme l’hydrogène, ou de nouveaux modes de transport.

Il nous faut encore lever quelques freins : les réglementations bloquantes, la rigidité historique des sites industriels, que l’on ne transforme pas du jour au lendemain, et les filières de formation vers les nouveaux métiers.

M : Quels sont les atouts et les faiblesses de notre pays en matière de compétences professionnelles ?

AS : La France dispose de bons outils de formation initiale et professionnelle. Encore faut-il qu’ils soient bien calibrés par rapport aux besoins de l’industrie et que l’on donne envie aux jeunes de venir vers l’industrie.

Il faut donner à voir l’industrie d’aujourd’hui et de demain et faire oublier celle d’hier qui est encore dans nos têtes. Il est nécessaire que nos chefs d’entreprises s’investissent et que l’Éducation Nationale s’ouvre encore plus aux réalités de l’industrie. Il n’est pas normal que la voie professionnelle, qui est celle qui a le plus de débouchés, soit toujours considérée comme la « voie de l’échec ». Cela suppose d’impliquer les industriels et les partenaires sociaux dans la conception des cursus de formation.

 

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